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Anouska Wisse

Trop souvent, nous sous-estimons la puissance d’un geste, d’un sourire, d’un mot gentil, d’une oreille attentive, dudevoir honnêtement accompli, ou du plus petit acte de bienveillance, qui ont tous le pouvoir de changer une vie. (Leo Buscaglia) 

Mon premier jour de travail, à mon retour à bord de l’Africa Mercy, je me suis retrouvée dans la section réservée aux femmes qui souffrent d’une fistule (les médecins parlent de FVV). Je n’avais pas la moindre idée de quoi il s’agissait et je trouvais dommage de ne plus travailler avec des enfants. J’avais tort ! Entre-temps, je me suis vraiment attachée à ces femmes. Elles sont tellement fortes et affectueuses !

En Afrique, la plupart des femmes accouchent dans leur village, seule ou aidées par un membre de la famille. Dans certains cas, cela peut prendre des jours ! Souvent, le bébé est mort-né parce qu’il est resté coincé dans la matrice et la compression prolongée de la paroi vésicale par sa tête provoque une ouverture entre la vessie et le vagin. L’urine s’écoule en permanence par cette communication anormale sans que la femme puisse contrôler quoi que ce soit. En raison de l’odeur nauséabonde qui s’ensuit, la femme est rejetée par son mari ainsi que par sa famille et est bannie du village.

D’épouse/mère, elles ne sont brusquement plus rien. Jetées et ignorées par la société. Elles se sentent inutiles et indésirables. A ces sentiments s’ajoute qu’elles pleurent leur enfant. Elles s’imaginent souvent qu’elles sont seules au monde à traverser cette épreuve. La plupart du temps, elles ne connaissent personne d’autre souffrant de cette affection, dite FVV. Qu’est-ce que ces femmes doivent se sentir seules !
D’après les estimations, plus de 2 millions de femmes souffrent d’une FVV dans le monde, principalement en Afrique et en Asie, pour la plupart des jeunes femmes (un tiers d’entre elles a moins de 16 ans).

Ainsi, il y a l’histoire de 15 femmes FVV. Elles avaient 160 km à parcourir, ce qui leur a pris 4 jours. D’abord, elles devaient franchir une petite rivière en minibus mais, en raison de fortes pluies pendant la nuit, le niveau de l’eau était plus élevé que prévu et le véhicule s’est enlisé. Ces femmes ont alors embarqué 2 par 2 dans une pirogue pour traverser la rivière. Ensuite, elles ont entrepris une marche de 10 heures en direction d’un village voisin. Sur le chemin, il a recommencé à pleuvoir et elles se sont retrouvées trempées. Au village, un chauffeur de camion les a pris en stop. Le chemin était en si mauvais état qu’il a dû s’arrêter. Les femmes ont alors dormi dehors, au bord de la route. Après quatre longues journées, elles ont enfin atteint le navire.

Nous leur avons demandé si elles n’avaient pas eu peur. Elles ont répondu qu’elles avaient eu peur de manquer leur rendez-vous avec Mercy Ships ! 4 jours de voyage sous la pluie, complètement trempées, et la seule chose qu’elles redoutaient était de ne pas pouvoir être opérées ! C’est dire à quel point ces femmes sont désespérées et seraient disposées à faire n’importe quoi pour être soignées.

Elles sont ensuite arrivées dans ma section où nous les avons accueillies à bras ouverts. D’abord très intimidées et tristes, elles se sont peu à peu ouvertes parce qu’elles n’étaient plus seules ! C’est chouette de les voir cohabiter dans la salle. Elles sont proches les unes des autres. C’est dans leur culture de tout faire ensemble. Les femmes s’encouragent mutuellement et se transmettent ce qu’on leur apprend. Il n’est pas seulement question de guérison physique. Chez Mercy Ships, elles sont traitées comme des personnes normales. Elles sentent qu’elles sont aimées. Elles sont à nouveau touchées et câlinées et elles comprennent qu’elles ont de la valeur.

L’opération en soi n’est qu’une petite intervention, mais pour beaucoup de femmes, elle est inabordable ou bien elles ne savent même pas qu’elles peuvent être opérées. Certaines femmes ont déjà été opérées dans leur pays, mais sans succès. Dans le cas de ces femmes il arrive que l’opération à bord échoue en raison de la présence excessive de tissus cicatriciels dans la vessie. Il en résulte que, hélas, certaines femmes restent incontinentes après cette deuxième opération.

Pour la plupart d’entre elles, ce n’est heureusement pas le cas ! Elles restent environ 3-4 jours chez nous à bord, avant d’être transférées à la clinique spécialisée en FVV, où travaillent 16 infirmières locales qui ont été formées par Mercy Ships. Elles gèrent actuellement cette clinique de façon autonome mais encore sous notre supervision, le but étant qu’elle continue d’exister après le départ de Mercy Ships. Les femmes restent encore deux semaines sur place après leur opération.

Ensuite vient le temps de rentrer chez elles. Ce moment est célébré avec une « cérémonie de la robe ». Les femmes reçoivent une nouvelle robe, un chapeau, du maquillage et des bijoux, symboles de leur nouvelle vie! Chacune partage brièvement son histoire, et après on chante et on danse. C’est beau, très émouvant et pouvoir assister à cela est un privilège particulier !

C’est un honneur d’avoir vu ces femmes s’épanouir depuis leur premier pas hésitant sur le navire jusqu’à la cérémonie de la robe. Cela vous marque. Habituellement, je ne suis pas si émotive avec les patients, mais en écoutant l’une de leurs histoires, je ne pouvais pas retenir mes larmes.

Avec l’aide d’un traducteur, l’une d’entre elles nous a raconté que son accouchement avait duré des jours, ce qui a entrainé la mort de son enfant. Mais le bébé était encore dans son ventre. Lorsqu’elle est allée chez le médecin local, celui-ci a retiré l’enfant par voie vaginale, ce qui a fait que toute cette zone était devenue un trou béant (d’où fuites de selles et d’urine). Pour aider la guérison, le médecin a dit que le mieux était lui poser un anus artificiel, de façon à ce que les selles n’infectent pas la blessure !

Le médecin lui a dit qu’elle pouvait revenir 5 mois plus tard et qu’alors, il réparerait le tout. Lorsqu’elle est revenue avec son mari chez le médecin, il a d’abord réclamé de voir l’argent (l’équivalent de 120 euros). Ils n’avaient pas cet argent et le médecin les a remballés ! Pour recueillir les selles de son anus artificiel, la femme a acheté des morceaux de tissu qu’elle nouait autour de sa taille et à chaque fois qu’ils étaient sales, elle les nettoyait. Au bout de quelques mois, son mari l’a quittée. Pour survivre, elle vendait de la nourriture dans la rue. Elle n’avait plus rien : plus de mari, plus de maison, plus d’enfant, elle perdait de l’urine et elle avait toujours son anus artificiel.

Aujourd’hui, 5 ans plus tard, elle se retrouve chez Mercy Ships. J’étais tellement prise par son histoire que je ne pouvais plus retenir mes larmes qui ruisselaient le long de mes joues. Je ressentais tellement de compassion pour elle. J’essayais de me représenter comment cette femme devait se sentir. Je ne pouvais vraiment pas m’arrêter de pleurer, les larmes coulaient à flots. J’étais tellement heureuse que nous ayons pu l’aider chez Mercy Ships. Sachez que derrière le magnifique sourire de ces femmes se cache une vie très dure. Mais à présent, cette souffrance a pris fin.